- Vous voulez que je vous donne ce que j’ai écrit ?
D’autres feuilles avaient rejoint la première. Pendant plusieurs jours, Pansy n’avait rien fait d’autre que manger, dormir, et écrire.
Elle était passée d’une addiction à une autre, de l’oubli à la conscience aiguë. Ces séances d’écritures étaient en réalité des séances d’auto-flagellation avancées. Pansy avait reporté son narcissisme ailleurs et s’étaient délectée à peindre les défauts dont elle voulait désormais se défaire. Elle ne savait toujours pas quoi devenir, mais elle savait détester avec volupté celle qu’elle était.
C’était avec fierté, encore, qu’elle était venue voir Gisèle.
- C’est surtout pour vous que vous écrivez, mais je peux y jeter un œil si vous avez besoin de moi pour y voir plus clair.
Pansy ne dit rien mais tendit les feuilles. Après n’avoir porté son regard que sur elle-même, elle avait désespérément besoin de se confronter à quelqu’un d’autre pour se sentir exister.
Gisèle s’en saisit et hocha la tête.
- Je vais lire ça. Revenez demain matin pour qu’on puisse en discuter.
Pansy passa la soirée et la nuit sans trouver le repos. L’agitation extrême qu’elle ressentait lui semblait parfaitement nouvelle. Elle était passée de la douleur à la torpeur, puis, après un bref réveil, de l’autodestruction verbale à l’angoisse absolue. Fallait-il qu’elle explore à ce point toutes les émotions humaines, afin d’enfin retrouver un équilibre ?
Elle se sentait mise à nue. Elle avait l’impression qu’à chaque seconde, Gisèle pouvait utiliser ce savoir nouveau et venir la briser. Par sa haine, par son rire. Après tout, Pansy l’aurait bien mérité : elle l’avait méprisée depuis le départ, parce qu’elle ne faisait pas de magie… Elle se sentait bien fragile désormais. Et bien bête. Nul besoin de magie pour aider les gens, nul besoin de magie non plus pour les détruire.
Si elle était Gisèle, elle n’hésiterait pas…
Elle ne sut pas quand elle s’endormit. Mais elle dut bien sombrer dans le sommeil puisque Gisèle la réveilla en ouvrant le rideau – une fois de plus.
- Bonjour Mme Parkinson, je sais qu’il est tôt, mais j’ai des projets pour vous aujourd’hui.
Pansy eut l’impression de sortir d’une dimension fiévreuse et douloureuse. Elle était crispée et moulue. Sa bouche était pâteuse.
- Pardon ? fut tout ce qu’elle réussit à articuler.
Gisèle lui jeta un regard amusé – Pansy se fit la remarque que c’était la première fois qu’elle avait l’air autre chose que stricte et agacée.
- J’ai lu ce que vous avez écrit et je sais de quoi vous avez besoin. D’air frais ! Alors debout, chaussez vos chaussures, nous allons faire un tour !
***
Pansy avait le souffle court et les poumons en feu. Elle avait mal aux jambes, aussi, et même ses bras lui semblaient manquer de force.
Gisèle marchait d’un bon pas devant elle, sans sembler ressentir l’épuisement. Le chemin montait sec, pourtant ! Les Alpes, c’est un mot assez vide de sens quand on est une sorcière britannique, et même les quelques séjours qu’elle avait passé chez des proches en Suisse ne lui avaient pas donné la juste mesure du paysage dans lequel elle évoluait. Elle se doutait qu’il devait être beau, mais elle ne parvenait pas à le voir ainsi. Il était inhospitalier, il épuisait son corps alors que son esprit était déjà si fatigué. Les pentes lui brisaient les poumons quand elles montaient, et les jambes quand elles descendaient.
Ses yeux étaient aveugles aux praires verdoyantes et aux pics escarpés. Ils ne voyaient pas non plus que les arbres avaient, déjà, pris les couleurs de l’automne. Pansy, encore et toujours, était centrée sur elle-même, et incapable de voir plus loin que le bout de son nez – nez trempé de sueur malgré la fraîcheur relative de l’air.
- Allez, Mme Parkinson, nous y sommes presque ! Une côte, une descente, et nous arrivons à l’endroit où nous prendrons le déjeuner avant de rentrer.
Au-delà de son épuisement, Pansy tiqua. Elle avait l’impression qu’une idée se frayait un passage à travers son esprit, luttait, luttait pour dépasser…
- Appelez-moi Pansy, je vous prie !
Gisèle sourit.
Pansy aussi. Elle remarqua qu’elle était un mur pour elle-même. Focalisée sur son propre désespoir, elle se coupait de l’extérieur. L’idée qu’elle venait d’avoir venait de l’extérieur, justement. Et elle ouvrait, un tout petit peu, la muraille qui l’entourait.
Le chemin montait toujours mais le souffle de Pansy était juste un peu moins court.
Il se tarit, cependant, quand elles arrivèrent en haut de la côte. D’un coup, l’épuisement cessa d’exister et Pansy accepta, enfin, de s’oublier pour se fondre dans la beauté du paysage qui l’entourait. Jamais elle n’avait vu tel lieu – et pourtant elle devait avouer que les montagnes et les landes entourant Poudlard valaient le détour.
Rien ne valait cet endroit. Au niveau de ses yeux, des pics déjà – ou encore – couverts de neige, si hauts que la végétation n’y poussait plus, d’un gris magnifique sous le ciel bleu et le soleil. En contre-bas, un lac, de dimension raisonnable mais magnifique, entouré d’arbres orangés et rouges. Ses eaux sombres reflétaient la clarté du ciel et les couleurs chaudes de la végétation.
Il était splendide.
Pansy dévorait le paysage des yeux, si bien qu’elle ne vit pas passer la descente. Elle manqua de glisser plusieurs fois et ne dut qu’aux réflexes de Gisèle de ne pas finir par se casser le cou au fond d’un ravin. Pour la première fois, elle se dit que ça aurait été dommage tout de même.
Arrivée en bas, elle ne remarqua pas que Gisèle s’asseyait sur un banc de bois. Elle resta debout, et contempla, encore, le panorama. Perdre de l’altitude lui faisait un effet considérable. Alors qu’un peu plus tôt, en haut du chemin, elle avait eu l’impression d’être sur le toit du monde, elle se sentait désormais minuscule face à l’immensité des pics qui la dominaient. La beauté même du lac l’écrasait. Ses eaux sombres et lumineuses à la fois lui semblaient abriter des mystères insondables.
Elle réagit à peine quand Gisèle lui prit gentiment la main pour la mener vers le banc. Elle s’éveilla véritablement quand celle-ci lui glissa un sandwich dans les mains.
- Il faut manger, Pansy, tu dois être fatiguée. Tu as à peine pris le temps de grignoter ce matin.
La sorcière s’ébroua et s’arracha de sa contemplation pour regarder sa compagne.
Et puisqu’elle était désormais dans cet état de contemplation dont elle ne comprenait pas véritablement la cause, elle détailla pour la première fois cette femme qu’elle n’aurait jamais cru rencontrer, et qui pourtant était celle qui lui ouvrait les yeux et qui lui offrait un monde magnifique pour remplacer les idées noires dans lesquelles Pansy avait sombré.
C’était une femme jeune, à peine plus âgée que Pansy. Plus de vingt-cinq ans, sans doute, mais pas plus que trente. Elle avait des traits harmonieux, de grands yeux bleus à peine étrécis par des lunettes rectangulaires qui lui donnait cet air si strict qui avait impressionné Pansy. Ses joues étaient colorées par l’effort qu’elles avaient fourni. Ses cheveux blonds cendrés, d’habitude rassemblés en une queue de cheval banale, avaient été ébouriffés par le vent qui soufflait sur les cimes. En baissant les yeux, la sorcière remarqua qu’elle avait une silhouette fine et tonique sous des vêtements passe-partout – un pantalon de randonnée, une chemise verte à motifs tartan et des chaussures de marche. Pas de formes affolantes, mais un corps musclé, efficace. Ses mains étaient fines et blanches, elles s’appliquaient à déballer un sandwich, fascinantes. Elles dansaient autour du papier alu, comme mues d’une vie propre. Les yeux de Gisèle, eux, étaient perdus dans le vide.
Pour la première fois, Pansy se rendit compte qu’elle la trouvait belle. Quelque chose s’agita dans son ventre.
- Merci, murmura-t-elle…
La jeune femme donna l’impression de sortir d’un rêve. Elle sourit, révélant des dents blanches, quoiqu’un peu irrégulières.
- Mais de rien, Pansy, c’est mon métier vous savez. Et puis, c’est à vous que vous devriez dire merci. C’est vous qui faites tout le travail, moi, je ne fais que vous accompagner.
Pansy hocha la tête, et regarda le lac en mordant dans son sandwich. Elles mangèrent en silence, comme écrasées par la beauté du paysage.
Au moment où elle sentit qu’elles allaient se lever pour repartir, Pansy trouva la force de prendre la parole.
- Je vous remercie tout de même. Pas pour une question de travail ou d’effort, mais parce que j’en ai besoin. J’ai besoin d’établir le contact. De sortir de moi-même.
Gisèle sourit une nouvelle fois.
- Mais vous êtes déjà sortie, voyons. Vous êtes dans chaque merveille de ce paysage. Bientôt, vous trouverez des êtres à qui parler, bientôt. Ne brûlez pas les étapes !
Et elle se leva.
Le chemin du retour parut plus court à Pansy, presque trop court. Elle appréciait de manquer de souffle. Elle adorait la douleur dans ses jambes et ses bras. Et surtout, elle dévorait du regard les merveilles que lui offraient les Alpes autrichiennes et le Land Salzburg.
Lorsqu’elles arrivèrent au centre, Gisèle la regarda d’un air fier.
- Bravo Pansy ! vous avez parcouru du chemin, aujourd’hui. Je vais prendre quelques jours de congé, mais quand je reviendrai, je vous proposerai une autre randonnée et une autre mission. N’oubliez pas d’écrire encore en attendant.
Elle tendit la main et frotta le bras de Pansy en un geste affectueux.
Pansy se sentit comme électrisée, hors d’elle-même.
Elle réalisa que c’était la première fois que quelqu’un la touchait depuis des mois, peut-être des années.
Le contact, enfin, était établi.