
Un fil à travers les nuages d’Anaïs Sorrentino : un style, une claque
Anaïs Sorrentino est une artiste et autrice lyonnaise dont le premier roman fantastique, Un fil à travers les nuages, est publié aux Éditions HPF.
Au fil d’une découverte
Faire partie d’un comité de lecture est parfois une activité décourageante : constamment plongées dans le doute, les lectrices des Éditions HPF ont passé des mois à donner leur chance aux manuscrits qu’elles lisaient, sans trouver la perle rare. Il y a d’une part les manuscrits qui ne nous correspondent pas, quelles qu’en soient les raisons, et qui sont vite mis de côté. Plus délicats, on trouve d’autre part les manuscrits qui n’ont pas de défaut rédhibitoire. On les lit en entier, en se disant : « ah, c’est pas mal, mais… ». Pendant des mois, il y avait toujours ce « mais ». Pour tous les manuscrits. Et l’impression, ensuite, de décevoir un‧e auteur‧rice à qui on n’avait pas grand-chose d’autre à reprocher qu’un manque d’enthousiasme – or, le manque d’enthousiasme, ce n’est ni rationnel, ni quantifiable, et ça ne permet pas de donner des pistes de progrès.
Et puis, un jour, le miracle est survenu. J’avoue tout de suite que, même si je me suis portée volontaire pour vous en faire le récit, ce n’est pas moi qui en ai eu la primeur, mais Louise. Premier coup de cœur d’une longue série, au fur et à mesure que les membres de l’équipe lisaient le roman : Un fil à travers les nuages, anonyme encore, puisque nous anonymisions nos manuscrits à l’époque. Toutes en ressortaient enchantées.
Je suis l’une des dernières à m’être lancée. J’avais déjà un a priori, donc, et je le lisais plus comme un roman à éditer que comme un manuscrit lambda. J’étais, de ce fait, sur mes gardes puisque je savais que j’allais avoir affaire à un bon roman.
Et pourtant, quelle claque !

Le fil de la plume
Par ma formation et mon métier, je suis peut-être plus sensible que la moyenne à la particularité du style. Je dis particularité et non qualité parce que je ne pense pas qu’il s’agisse d’un critère qualitatif, mais bien plutôt d’une originalité et d’un goût des mots sous la langue et sous les yeux. Je suis plusieurs fois sortie de ma lecture de livres édités dans des maisons fort connues et fort respectables avec une petite déception, non parce que l’histoire n’était pas belle, mais parce que l’écriture n’était pas venue me chercher.
J’y accorde une importance capitale. J’ai besoin de sentir l’épaisseur des mots et la recherche de la phrase. J’aime ces auteur-rices rauques et rudes qui ne cherchent pas tant le beau que la résistance et la lutte jusque dans le phrasé. Agrippa d’Aubigné, Rimbaud, Césaire…
Fin de parenthèse, reprenons le fil.
Je disais donc, « quelle claque ! » Et cette claque a d’abord été stylistique, dès les premiers mots, que je vous invite à découvrir sur le Héron. Dès le cinquième mot, d’ailleurs.
« Les chaussettes de Gaby sproutchaient à l’intérieur de ses baskets trouées ».
Un Fil à travers les nuages, partie 1 – Chapitre 1, « Des Fragments par le fond ».
Sproutchaient. C’est culotté, c’est sonore, ça m’avait déjà embarquée. Et la suite… Je vous laisse vous y rendre et la lire, elle vous parlera mieux que moi.
S’est ouvert alors un monde langagier méconnu, plein d’expressions imagées et inattendues.
« Il en perdait des bouts de partout. Du carton, de l’alu, du scotch et du papier coloré, autant de morceaux de Mardi gras disséminés sur le sentier comme des miettes de Petit Poucet »
Un Fil à travers les nuages, partie 1 – Chapitre 1, « Des Fragments par le fond ».
C’est un monde plein d’une poésie aussi belle, symbolique et rude que l’histoire. Chaque personnage a son langage, et les passages dédiés à son point de vue sont autant d’échos de sa voix. Albin et son argot délicieux, Capucine et sa candide découverte d’expressions et d’images, Nicholas et ses tournures familières narquoises, Sofia et ses idées arrêtées, Angelica et son silence coupable et triste… Le roman devient alors un patchwork de tons et de parlures, différents, uniques, derrière lesquels on trouve la patte d’une autrice fabuleuse. Anaïs Sorrentino. Une découverte dont, je crois, vous devez retenir le nom, car il me semblerait aberrant qu’on n’en parle pas à l’avenir, et bien au-delà du cercle d’HPF et de ses Éditions.

Un fil à travers les nuages
Mais ce roman n’est pas qu’un style. Il est bien plus que cela. Il est surtout un univers étrange et inquiétant, un univers aussi authentique pour le lecteur qu’il sonne faux aux oreilles des personnages, ces âmes perdues arrachées d’un coup à leur petite vie et propulsées dans ce monde de cauchemar, hanté par des monstres et des humains dont certains mériteraient aussi cette dénomination.
À l’image des personnages qui se réveillent d’un coup bien loin de chez eux, le lecteur commence par être perdu comme après un trop long sommeil ou un bon coup sur le crâne. C’est la troisième qualité de ce roman : il ne vous mâchera pas le travail. De nombreux récits se cantonnent à être explicatifs, les auteurs étant sans doute anxieux de ne pas être compris. Pourtant, Voltaire écrivait « Les meilleurs livres sont ceux qui font faire la moitié du chemin au lecteur ». Ce roman est de ceux-là, et soyez prêts à vous embarquer pour un sacré voyage !
Un fil à travers les nuages vous donne des fils, justement. Plein de fils, de toutes les couleurs et de toutes les épaisseurs, qui se nouent et se dénouent, que vous devez vous-même démêler, et dans lesquels, si vous n’y prenez pas garde, vous vous retrouverez prisonniers.
Après un début choral, où les points de vue se succèdent et où vous voyez aussi flou que les personnages perdus, l’horizon s’éclaircit. Et là, le roman vous colle à la peau, et vous ne pouvez plus le lâcher.
Des personnages authentiques, dont les trames narratives se rencontrent progressivement, sont coincés dans un monde inquiétant après avoir connu un accident dont ils ne se souviennent pas toujours. Sont-ils morts, ou vifs ? Sont-ils en enfer ? Sont-ils dans les limbes ? Sont-ils pris au piège d’une vaste farce ? Impossible de le dire. Et vous, vous n’avez qu’une envie : comprendre. Savoir où ils se trouvent, et surtout, s’ils vont réussir à sortir de là.
On m’a dit un jour que le genre littéraire « fantastique », dans sa définition stricte (et je ne me priverai pas de vous citer Todorov à ce propos : « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel »), se prête bien mal au roman car il est difficile de maintenir l’hésitation entre le surnaturel et le rationnel sur un récit si long.
Anaïs Sorrentino réussit ce tour de force, mais une fois qu’on a été touché par son style si étonnant, par ses personnages hauts en couleur, et par son univers criant de vérité et de mystère, on peut finir par se dire que c’est là sa moindre qualité.

Une sortie sur le fil
Si tout cela vous tente, vous intéresse, vous intrigue, notre roman est d’ores et déjà disponible en précommande, pour une sortie prévue le 2 avril.
Nous vous inviterons aussi à un live avec l’autrice prévu le 21 mars, qui vous permettra d’en savoir plus, et qui ouvre sur un concours vous permettant de remporter le roman !


Un commentaire
Albus
Bon, plus vous en dites et plus vous donnez envie avec ce roman ! J’ai hâte de découvrir ce style qui a l’air si particulier, et cet univers qui semble aussi unique.
Et on croise les doigts que le succès et l’héritage sera au rendez-vous !