
Résoudre les problèmes d’intrigue : le ratio 4E
Voici donc la deuxième et dernière partie de la masterclass donnée par Mary Robinette Kowal sur le thème Diagnostic : résoudre les problèmes d’écriture. Aujourd’hui, nous nous tournons vers les problèmes liés à l’intrigue.
La première partie a été consacrée à résoudre les problèmes qui se posent au moment de l’écriture, le fameux syndrome de la page blanche, ou de la révision, quand on ne sait pas trop quoi faire des retours de ses beta-lecteurs. Pour les deux, nous avons établi une check-list pour bien identifier le problème, et proposé des solutions.
Une nouvelle façon de réfléchir à la structure de son intrigue
Malheureusement, les problèmes d’intrigue ne peuvent se résoudre de la même façon car au lieu d’éléments précis et ponctuels, il s’agit d’examiner la structure globale du récit.
Le schéma narratif
En France, on nous renvoie souvent au schéma narratif en 5 actes : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, dénouement, situation finale. Certes, c’est un outil intéressant, par exemple quand on souhaite rédiger un synopsis de son histoire, pour s’assurer qu’on n’oublie aucun élément important et que le récit est cohérent dans son déroulement.

Mais c’est un schéma qui se veut applicable à quasiment toute histoire (occidentale, en tout cas) et ce caractère générique fait qu’il n’est pas forcément très utile pour repérer ce qui peut coincer dans le récit. En d’autres termes, le schéma narratif permet de s’assurer qu’on a bien un début, un milieu et une fin, mais pas vraiment que les trois vont bien ensemble.
Le MICE quotient, par Mary Robinette Kowal
À la place, pour examiner les problèmes d’intrigue, Mary Robinette nous propose donc plutôt de nous tourner vers ce qu’elle appelle le « MICE quotient » (oui, tout à fait, le « quotient souris ») et que j’ai choisi d’adapter en français pour en faire le ratio 4E.

En anglais MICE est un acronyme pour : Milieu, Inquiry, Character, Event.
En français, cela devient :
- Environnement
- Enquête
- Être
- Événement
Une histoire mêle généralement au moins deux (mais souvent plus) de ces quatre types de fil narratif. Un roman qui n’en contiendrait qu’un seul serait terriblement unidimensionnel et pas très intéressant. C’est pour cela qu’on parle de ratio : le texte contient potentiellement les quatre, dans des proportions variables.
Les reconnaître permet d’être capable de déterminer quand l’histoire commence, quand elle se termine, et le type de conflits auquel le personnage doit faire face.
Le Ratio 4E
L’intrigue Environnement (Milieu)
Définition

Ce sont des histoires où le lieu a une importance capitale : l’intrigue commence quand on y entre et se termine quand on en sort – ou quand on échoue à en sortir, si c’est une histoire qui se termine mal. Typiquement, on va trouver dans cette catégorie les histoires de survie (Jurassic Park), de cambriolage (Ocean’s’ Eleven) et les récits de voyage, explorations de planètes ou univers parallèles (Les Voyages de Gulliver ou Un fil à travers les nuages.)
Conflits
Puisque le but pour le personnage est de sortir de l’environnement en question (et de survivre !), les conflits associés à ce type d’intrigue sont, logiquement, tout ce qui l’empêche de le faire : le portail magique s’est refermé, la boussole est cassée, le bateau a coulé, il y a un T. rex entre le héros et la sortie…
L’intrigue Enquête (Inquiry)
Définition
Les intrigues de type Enquête sont dirigées par une question : elles commencent quand le personnage formule cette question et se terminent quand il y répond. Les romans policiers (Hercule Poirot, Sherlock Holmes) sont bien sûr l’exemple le plus évident mais d’autres genres de roman peuvent contenir des fils narratif Enquête. Par exemple, dans Harry Potter : que sont les Horcruxes? Où sont-ils cachés ?
Conflits
Ici, les conflits sont tout ce qui empêche le personnage de trouver la réponse : les témoins mentent, les indices pointent vers des coupables différents, la réponse à la question pose une autre question encore plus pressante et plus insoluble…
L’intrigue Être (Character)
Définition
Ici, on se concentre sur le personnage, son intériorité, son évolution. Le fil narratif Être, c’est votre personnage qui n’est pas satisfait de qui il est, ou qui se demande qui il est. Grosso modo, c’est l’angst qui tire votre histoire en avant. À la fin du roman, le personnage a changé, est devenu une meilleure version de lui-même, il a découvert qui il était. Dans cette catégorie, on va trouver le conte initiatique (Candide), le roman d’apprentissage (Les Souffrances du jeune Werther – on a dit angst, d’accord? XD, ou plus contemporain, Le journal de Bridget Jones). Les romances sont aussi des intrigues Être : au début du roman, l’amour manque au personnage pour être pleinement épanoui, à la fin, il est amoureux et heureux.
Conflits
Les conflits seront donc tout ce qui empêche le personnage de changer : le carcan imposé par la société ne lui permet pas d’essayer de nouvelles choses, il est assailli par le doute, il pense qu’il ne mérite pas le bonheur et repousse la personne dont il est amoureux…
L’intrigue Évènement
Définition
Les intrigues Évènement sont menées par l’action. Elles commencent quand le statu quo est perturbé et se terminent quand il est rétabli ou qu’un nouveau statu quo est établi. La normalité explose et le personnage essaie de la retrouver. C’est avec ce type d’intrigue que le fameux schéma narratif et son « élément perturbateur » dont nous parlions au début fonctionne le mieux. Les récits catastrophe sont typiques des intrigues Évènement : une météorite fonce sur la terre.
Conflits
Vous commencez à saisir le principe, ici, les conflits seront tout ce qui empêche le personnage de rétablir le statu quo. Combats, explosions, courses poursuites… Chaque tentative pour améliorer la situation est déjouée par des causes indépendantes de la volonté du héros.
Comment utiliser le ratio 4E ?
Penser à votre intrigue en termes de fils narratifs de type Environnement, Enquête, Être et Évènement vous permettra non seulement d’utiliser les bons types de conflits mais aussi d’ordonner lesdits fils narratifs afin que que tout retombe bien en place au bon moment.
Des conflits qui correspondent aux enjeux
Nous l’avons vu, à chacun des 4E, est associé un type de conflits précis. C’est la plupart du temps quelque chose qui nous vient naturellement quand on écrit. Si notre personnage cherche à résoudre une affaire de meurtre, le gros du roman sera les difficultés qui se présentent sur son chemin et compliquent la résolution de l’enquête. C’est logique.
Cependant, il peut arriver, en particulier pour les auteurs qui sont plutôt « jardiniers » (1) qu’on ait conscience que l’intrigue a besoin d’un peu plus de tension et qu’on rajoute des conflits au fil de l’écriture. Et parfois, ces conflits ne sont pas les plus adaptés.
Mary Robinette donne cet exemple.
Votre personnage est coincé dans une pièce, sans moyen d’en sortir. Vous vous dites qu’il faut ajouter un peu de piquant, et hop, coup de fil, c’est sa sœur qui l’appelle pour lui demander pourquoi il n’est pas présent à… oh, tiens, son mariage, voilà qui est bien dramatique. Hop, tension remontée en flèche.
Sauf que maintenant, vous vous retrouvez à devoir gérer et résoudre une intrigue secondaire, le mariage de la sœur, et surtout, vous voilà passé d’un fil d’intrigue Environnement (sortir de la pièce) à un fil Être (« oh non, je suis un mauvais frère, je dois trouver un moyen de me racheter. »)
Writing Excuses
Ne pas se perdre en route
Bien sûr, nous l’avons dit dès le départ, c’est tout à fait normal, et même souhaitable, d’avoir plusieurs types de fils narratifs dans votre intrigue. Une histoire qui ne jouerait que sur le fil Environnement (chercher à sortir d’un lieu) sans que cela ne s’accompagne de questions auxquelles on cherche à répondre, d’évolution du personnage ou d’évènements extérieurs risquerait d’être quand même très chiante, hein.
Cependant, si vous multipliez trop les sauts d’un type de fil à l’autre, vous risquez de vous retrouver avec une histoire embrouillée, et surtout une histoire qui perd en intérêt pour le lecteur : trop de tension tue la tension. Pour éviter cela, c’est une bonne idée de revenir à la base de temps en temps et de se demander où vous voulez amener votre intrigue, quel type de fil narratif vous suivez, et de vérifier si les conflits que vous utilisez sont cohérents avec cela.
Code imbriqué
Si vous vous êtes déjà amusé à mettre en forme votre texte sur Harry Potter Fanfiction ou le Héron avec des balises HTML, cette image devrait vous parler :
<m><i><i/><m/>
« m » pour Milieu (Environnement) et « i » pour Inquiry (Enquête).
Sinon, pensez à des poupées russes : chacune s’emboîte dans une autre poupée, plus grande, qui la contient. Autrement dit, il s’agit de fermer les différents fils dans l’ordre inverse de celui dans lequel on les a ouvert.
Le Magicien d’Oz
Ici encore, je vous transmets directement un exemple made in Mary Robinette qui démontre cette structure en s’appuyant sur le magicien d’Oz.
Si vous parlez anglais, vous pouvez retrouver l’intégralité des diapositives utilisées par Mary Robinette pour traiter ce sujet dans ce thread Twitter.
Le Magicien d’Oz commence par un fil Être : Dorothée est insatisfaite de sa vie de petite fermière dans le Kansas. Puis on ouvre un Évènement : bim, tornade ! On arrive alors à l’Environnement : bienvenue à Oz. Et on découvre enfin l’Enquête : que font les souliers rouges ? Après tout un tas de péripéties, Glinda annonce « oh, les souliers rouges te ramèneront chez toi », ce qui ferme notre fil Enquête. Dorothée quitte donc Oz et nous fermons Milieu. Tout va bien quand elle arrive au Kansas, l’Évènement est terminé. Dorothée comprend : « je n’avais pas besoin d’aller plus loin que la cour de ma ferme pour trouver l’aventure », ce qui conclut le fil Être.
Bien sûr, on peut trouver des romans qui fonctionnent très bien et où les fils narratifs ne sont pas imbriqués façon poupées gigognes. Cependant, d’après Mary Robinette Kowal, quand on se retrouve face à une histoire qui ne retombe pas tout à fait comme il faudrait et qu’on n’arrive pas à déterminer pourquoi, c’est souvent ça qui cloche.
Donc, si vous avez l’impression que votre fin tombe à plat, ou qu’on enchaîne plusieurs fins différentes les unes à la suite des autres (pensez au Retour du roi de Peter Jackson – qui est un chef d’œuvre, cela dit), ça peut valoir la peine d’examiner cela et de pourquoi pas reprendre sa structure pour s’assurer de fermer ses fils narratifs dans l’ordre inverse de celui dans lequel on les a ouverts.
J’espère que cet article vous aura intéressés. Pour rappel, la première partie était ici. N’hésitez pas à me soumettre des thèmes concernant les techniques d’écriture que vous voudriez voir abordées sur le Blog.
(1) On oppose les auteurs de type « architecte » qui écrivent à partir d’un plan détaillé établi à l’avance aux auteurs de type « jardinier » qui écrivent au fil de l’inspiration en se laissant guider par les réactions des personnages.


4 commentaires
Ialona
Super intéressant, merci Véro. Je ne connaissais pas du tout cette idée de Mice quotien, et merci pour l’exemple du magicien d’Oz, ça rend le tout tres clair ^^
Je dois essayer de reprendre une histoire qui ne fonctionne pas, et je vais tenter de tirer mes petits fils narratifs 🙂
Verowyn
Ravie que ça puisse aider. ^^
LaLouisaBlack
Excellent ce ratio ! Encore un outil qui va bien me servir dans mon process de correction de mon roman. Merci pour le partage 🙂
Verowyn
Cool ! Mary Robinette a vraiment de super concepts, c’est un plaisir de partager ses enseignements. ^^