
Les pièges de la traduction
Avec ce deuxième article de notre série sur la traduction, nous rentrons dans le vif du sujet et examinons quelques unes des erreurs les plus courantes dans les traductions de l’anglais vers le français.
Plan de la série
1. Traduire une fanfiction : les motivations
2. Les pièges de la traduction : c’est pas qu’une histoire de mots
3. Bien choisir la fic à traduire
4. Relations avec les auteurs
5. Reviewer une traduction
6. Rencontre avec quelques traductrices
2. Les pièges de la traduction : c’est pas qu’une histoire de mots
La fidélité consiste (…) à cerner le texte et à le couler au moule d’une autre langue en tordant ici, en infléchissant là, par toutes sortes d’acrobaties linguistiques qui, au résultat, restituent un produit somme toute équivalent.
— Confessions d’un traître, Albert Bensoussan, éd. Presses Universitaires de Rennes, 1995, p. 62
Notre premier réflexe, lorsqu’on traduit un texte, est de créer une équivalence exacte, de trouver les mots dans la langue cible correspondant à chacun de ceux qu’on a dans la lange source. Or, chaque langue étant unique, il est parfois tout simplement impossible de transcrire les mots d’une langue dans une autre. C’est alors qu’il faut comprendre ce que veut dire l’auteur dans la langue source, et en traduire le sens plutôt que les mots.
Je discuterai dans cet article d’erreurs courantes que je vois dans des traductions sur HPFanfiction et j’essaierai de donner des conseils sur la façon de les éviter (je ne crois pas qu’il y en a sur le Héron encore, mais mes conseils s’appliqueront bien sûr à toutes les formes d’écrits). Je prendrai comme langue source l’anglais et comme langue cible le français, puisque ce sont celles que je connais et la combinaison qu’on retrouve le plus souvent sur HPF.
Anglicismes
Personne qui traduit d’une langue à une autre n’est à l’abri de faire des erreurs. Dans le cas de traductions de l’anglais au français, on connaît tous le concept des anglicismes. Mais alors que certains sont évidents, faciles à repérer et donc à éviter, d’autres sont plus sournois et peuvent se glisser dans notre narration sans qu’on s’en rende compte.
Faux-amis
Un faux-ami, ou « anglicisme sémantique », est quand on donne à un mot français un sens qu’il n’a pas, sous l’influence de l’anglais. En effet, si un mot anglais et un mot français se ressemblent, voire sont identiques, cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils ont le même sens.
Exemples
This is not a good time for us to talk.
se dit Ce n’est pas un bon moment pour se parler.
et non Ce n’est pas un bon temps pour se parler.
I am heading to Quidditch practice.
se dit Je vais à l’entraînement de Quidditch.
et non Je vais à la pratique de Quidditch.
Calques
Les calques sont plus sournois, et c’est souvent dans leurs cas qu’il faut avoir une excellente connaissance de la langue cible, pour savoir ce qui se dit et ce qui ne se dit pas, et de la langue source, pour comprendre le sens qu’a voulu donner l’auteur et traduire celui-ci, si on ne peut traduire les mots.
Dans certains cas, il suffit de changer quelques mots pour que les mots ou la phrase anglaise devienne française.
Exemples
Your theory makes sense.
se dit Ta théorie a du sens.
et non Ta théorie fait (du) sens. (« faire sens » en français de France, « faire du sens » en français canadien)
Don’t tell a soul.
se dit Ne le dis à personne.
et non Ne le dis pas à une âme.
A couple of birds are in the tree.
se dit Quelques oiseaux sont dans l’arbre.
et non Un couple d’oiseaux est dans l’arbre.
Et dans d’autres, la traduction mot à mot nous fera simplement écrire un barbarisme.
Exemples
Same difference.
se dit C’est du pareil au même.
et non Même différence.
Signe d’arrêt-stop à Ottawa, au Canada
Ce que l’anglais se permet…
Outre les questions de vocabulaire et de syntaxe, qui changent forcément d’une langue à une autre, les règles de grammaire, d’orthographe et de ponctuation varient aussi. De nombreuses choses qui sont acceptées en anglais ne le sont pas en français, et ce n’est pas parce qu’on traduit de l’anglais qu’on peut se permettre de ne pas suivre les règles qui régissent notre propre langue.
Voici quelques erreurs courantes que j’ai croisées dans mes lectures.
Dialogues
En anglais, seules les paroles dites oralement sont entre guillemets ; les incises sont placées à l’extérieur, qu’elles soient à la fin du dialogue ou au milieu de celui-ci. En français, au contraire, les incises placées à l’intérieur d’un dialogue restent entre les guillemets.
Exemple
“I don’t know,” he said. “Maybe I’ll figure it out tomorrow.”
devient « Je ne sais pas, dit-il. Peut-être que je comprendrai demain. »
et non « Je ne sais pas », dit-il. « Peut-être que je comprendrai demain. »
De plus, en anglais, on peut ajouter de la narration entre les phrases du dialogue, ce qu’on ne peut évidemment pas se permettre en français. Il peut y avoir autant de narration qu’on veut entre deux parties du dialogue, tant que celui-ci reste prononcé par la même personne. En français, au contraire, toute phrase qui n’est ni du dialogue, ni une incise doit obligatoirement être placée sur une autre ligne, même si cette phrase ne fait que deux mots.
Exemple
“I don’t know.” He shrugged. “Maybe I’ll figure it out tomorrow.”
devient « Je ne sais pas. »
Il haussa les épaules.
« Peut-être que je comprendrai demain. »
et non « Je ne sais pas. » Il haussa les épaules. « Peut-être que je comprendrai demain. »
et encore moins « Je ne sais pas. Il haussa les épaules. Peut-être que je comprendrai demain. »
Note
J’ai utilisé les guillemets pour former mes dialogues en français, mais la règle est identique avec des tirets : les phrases de narration doivent être sur une ligne à part.
Majuscules
En anglais, les majuscules sont beaucoup plus utilisées qu’en français. Il faut donc s’assurer de mettre celles-ci au bon endroit dans notre traduction, plutôt que suivre aveuglément ce qui est écrit en anglais.
Exemples
Les titres d’œuvres prennent des majuscules à tous les mots en anglais (sauf quelques exceptions), mais seulement au premier en français (ou jusqu’au premier nom, selon la règle qu’on suit).
I am reading A Tale of Two Cities for class.
devient Je lis Le Conte des deux cités pour les cours.
et non Je lis Le Conte des Deux Cités pour les cours.
Les noms de ministères et de ministres prennent des majuscules en anglais, mais pas en français.
The Ministry of Education, the Minister for Magic
deviennent Le ministère de l’Éducation, le ministre de la Magie
et non Le Ministère de l’Éducation, le Ministre de la Magie
Les noms des cours dans Harry Potter prennent des majuscules en anglais, mais pas en français.
Snape teaches Potions and McGonagall teaches Transfiguration.
devient Rogue donne les cours de potions et McGonagall, ceux de métamorphose.
et non Rogue donne les cours de Potions et McGonagall, ceux de Métamorphose.
NB : Si vous hésitez sur l’orthographe de certains termes potteriens, vous pouvez visiter ce sujet sur notre forum.
Il faut insister
Il est courant, en anglais parlé, d’appuyer sur certains mots afin de mettre de l’emphase dessus. Ceux qui connaissent la série Friends n’ont qu’à penser à Chandler ! À l’écrit, la façon de rendre cette insistance orale est d’écrire le mot en italique. Or, en français, cette insistance à l’oral est parfois moins naturelle qu’elle l’est en anglais, et donc si on ajoute aveuglément les mots en italique au même endroit dans notre traduction que dans la phrase d’origine, celle-ci n’aura peut-être pas tout son sens.
Par exemple, prenons la phrase anglaise suivante :
I don’t know. Do you know?
Une traduction littérale en français, formatée de la même façon, donnerait ceci :
Je ne sais pas. Est-ce que tu sais ?
Je crois qu’on peut s’entendre pour dire qu’on comprend moins bien l’objectif de la phrase. En français, pour insister, on pourrait plutôt compter sur la répétition, par exemple :
Je ne sais pas, moi. Et toi, est-ce que tu sais ?
On retrouve ici l’insistance de la phrase anglaise, mais sans avoir à utiliser les italiques, un procédé moins courant en français qu’en anglais.
Et comme si les choses n’étaient pas assez compliquées comme ça, la signification d’une simple phrase peut changer du tout au tout en plaçant l’emphase sur des mots différents. I don’t know, I don’t know et I don’t know ont toutes les trois les mêmes mots, mais l’auteur insiste sur un mot différent, alors il faut comprendre des choses différentes.
I don’t know, comme dans l’exemple donné plus haut, insiste sur le sujet : Je ne sais pas, moi.
I don’t know insiste plutôt sur la négation : Non, je ne sais pas !
I don’t know, quant à elle, donne l’impression que celui qui prononce cette phrase est frustré, soit parce qu’il voudrait savoir mais qu’il ne sait pas, soit parce qu’on lui a posé une question d’innombrables fois et qu’il en a marre de répéter qu’il n’en sait rien !
J’espère avoir réussi dans cet article à vous illuminer quelques-uns des pièges de la traduction et à vous indiquer comment les éviter. Je ne peux qu’insister une dernière fois sur l’idée de traduire le sens plutôt que les mots. N’hésitez pas à lire une phrase, voire un paragraphe, au complet, et de vous dire « maintenant, comment je dirais la même chose en français ? »
Maintenant, allez trouver un texte en anglais et entraînez-vous !
Practice makes perfect!
(se dit C’est en forgeant qu’on devient forgeron !
et non La pratique fait la perfection !)


6 commentaires
Ping :
alixe
C’est très clair et très intéressant !
Ellie
Merci Alixe !
Ping :
Ping :
Ping :